Souvenir d'un jeune confrère

 

Souvenirs d’un jeune confrère

 

 

Lors du renouveau de la confrérie j’étais alors un jeune chanteur depuis 3 ans, je connaissais surtout le monde de la paghjella c'est-à-dire celui des polyphonies profanes ; dans les fêtes au comptoir de buvette, au lycée, toutes les occasions étaient bonnes et ne manquaient pas.

 

Le chant sacré

 

J’ai ensuite décidé d’apprendre aussi le chant sacré. Si pour le chant profane il n’y a pas vraiment de spécificité propre à tel ou tel communauté de l’ile, en revanche pour le chant sacré chaque village a sa propre mélodie.

C’est déjà un premier point qui m’avait séduit, car j’avais, là, vraiment le sentiment d’être aux côtés de mes ancêtres, car c’était le patrimoine de Speloncato que j’étais en train d’apprendre. C’est pour cela que j’ai immédiatement accroché. Et aujourd’hui encore, je prends beaucoup plus de plaisir à chanter la messe que la paghjella.

C’est donc dans l’enthousiasme que je fis partie des dix-huit hommes qui relancèrent la Confraternita Sant' Antone abbate sotto l’invocazione della Santa Croce mise en sommeil une trentaine d’années et le chantier semblait titanesque aussi bien matériellement (notre Casazza était coupée en deux avec de l’autre coté la mairie et de notre côté une  une salle polyvalente) que musicalement, car au début nous ne connaissions que les chants de messe qui nous été transmis grâce à Jacques  Papi et Martin Ambrosini.

Les Offices

 

Si être confrère c’est chanter la messe pour certaines occasions, c’est surtout chanter les offices de la confrérie.

La première étape fut de choisir par quel office commencer. Il nous a semblé que le moment le plus important pour les confrères étaient les cérémonies des défunts et la Semaine Sainte.

C’est d’ailleurs l’Office des défunts qui a le plus évolué au fur et à mesure de la découverte de nouveaux détails grâce aux textes anciens conservés dans la Confrérie. Tout d’abord le texte lui-même, l’office a l’origine est assez long. Sur les conseils de Toussaint Massiani nous avons décidé de raccourcir les offices à trente minutes environ. En supprimant les répétitions, mais en conservant l’essentiel à nos yeux c’est à dire le Miserere, trois leçons de Job chantées en latin, (mais traduite en corse et en français car nos offices n’étaient déjà plus à huis clos, mais publics). Nous avons même décidé récemment de faire lire les traductions non plus par des confrères, mais par des fidèles le Libera me, une oraison en latin et une en corse et enfin la litanie des saints.

Et finalement nous avons décidé de suivre exactement le livre des offices de la confrérie a savoir 3 psaumes et 3 leçons qui différents en fonction du jours ou sera reciter l’office mais nous avons conserver les traduction afin de faire participer les fidèles et ainsi créer un moment de communion, de prière commune.

 

 

 

 

La redécouverte des mélodies de Spéloncato

 

Si nous avons gardé la pratique de ceux des chants de la messe (certains sont présent à la messe et dans l’office) a contrario ceux qui étaient uniquement dans l’office ont été perdus, car ils se faisaient à huis clos.

Un choix c’est présenté à nous, soit la facilité en reprenant la mélodie d’autre village soit, plus difficile, en recréant des mélodies le plus fidèlement à l’esprit du village grâce aux autres chants transmis ? Nous avons choisi, ce qui nous paraissait une évidence, de rester dans l’esprit du village quitte augmenter les difficultés.

 

La création de mélodies dans l’esprit du chant religieux de Speloncato

 

Le premier chant créé pour cet office fut la mélodie des psaumes. En effet la mélodie que nous utilisions nous avait été transmise par les confrères du Giunssani et il me semble était un versu de Calinzana. C’est donc à partir du versu du Requiem de Speloncato que nous avons créé notre mélodie.

 

La découverte des voix du passé

 

À peu près à la même période nous avons pu avoir connaissance d’enregistrements datant de 1949 de Félix Quilici : il y avait les frères Colombani ainsi que Philippe Papi. Ce fut une véritable bénédiction, car nous connaissions certains chants que comme le requiem, gloria ou kyrie, mais il y avait aussi deux autres chants : le Libera me et le Benedictus

Le Libera me, Jusque-là on chantait la mélodie commune à tout le monde alors que là nous avons découvert un versu complètement diffèrent là aussi avec des accords très différents ce fut un des chants les plus difficiles à apprendre surtout la voix de basse tellement elle est complexe ! Il a fallu désapprendre ce que nous avions déjà acquis, perdre les réflexes pour essayer de s’habituer à ce type d’accord ; ce fut sans doute le plus dur…

C’est d’ailleurs en général un des chants les plus remarqués par les amateurs de polyphonie. Nando Acquaviva qui est un maître de la polyphonie corse a dit après l’avoir écouté "en Corse il y a le chant corse et il y a Speloncato !"

Le chant du benedictus quant à lui il se différencie de la polyphonie corse en général, non seulement il est à deux voix et non à trois mais ces deux voix ne sont pas la seconde et la basse mais la seconde et la terza ce qui qui est sans doute unique…

Pour l’anecdote nous avons tous essayé ce chant et je fus reconnu comme ressemblant le plus aux anciens, nous avons donc décidé que ce serait moi qui le chanterais. Bien des années plus tard j’ai appris que sur l’enregistrement c’était mon arrière-grand-père qui chantait.

Aujourd’hui ce chant a d’ailleurs une grande importance et signification profonde pour moi : non seulement je perpétue le lien familial mais aussi je l’avais appris avec Jean Giovansily notre terza qui nous a quittés trop tôt.

Ce chant fait partie de l’Office des ténèbres aussi nous avons dû également créer la mélodie de cet office. La seule mélodie connue de cet office était donc le Benedictus à partir de laquelle il a fallu créer les autres mélodies.

 

 

L’Office des défunts : une spiritualité pour tous

 

Si la plupart des confréries ne font l’office des défunts que pour la Toussaint ou pour un confrère ou sa famille nous, nous avons dès le début fait le choix de faire comme les anciens pour chaque mort du village et même si celui-ci est sur le continent ce qui avec du recul fut un très bon choix, car d’après les familles cela aide les familles à faire le deuil elles se sentent moins seules.

D’ailleurs après avoir traduit le règlement de la confrérie datant de 1632 il s’est avéré que les confrères de l’époque disaient un office pour les défunts tous les premiers dimanches du mois et c’est encore dans un souci de rester le plus possible dans la continuité de la confrérie de perpétuer les usages depuis 1632 que nous avons décidé de faire de même ce qui permet d’ailleurs au villageois de nous demander de dédier l’office du mois a quelqu'un en particulier.

 

La voix de l’abbé Colombani

 

Jean Dominique Poli avec l’abbé Squarcioni ont eu heureusement la présence d’esprit d’enregistrer le chanoine Colombani et grâce à cet enregistrement nous avons appris en autre le Dies Irae qui est très particulier, par exemple il change de gamme au milieu du chant voire en plein milieu d’un mot ce qui nous demande une gymnastique très difficile, mais avec un rendu sublime… Ce chant nous l’avons aussi intégré à l’office ; devant sa beauté et sa complexité nous ne pouvions faire autrement.

 

Une Création respectueuse du passé

 

C’est ainsi qu’au fil du temps nous avons retravaillé sur l’ensemble des mélodies. Le dernier sur lequel nous avons travaillé est l’Office des cinque piaghe qui est en italien c’est un office que nous faisons dans la Casazza avant de participer à la messe et dont nous avons entièrement dû créer la mélodie.

Lors de la création, notre principal souci est de créer dans l’esprit du village en occultant tout ce que nos oreilles de chantres ont entendu dans les autres villages afin de produire quelque chose de spuncatacciu di stintu…

Mais il nous arrive aussi de créer des mélodies pour les chants de messe ou de procession. Récemment nous avons rétabli la procession de sainte Rita dont la statue se trouve dans notre oratoire et nous avons composé la mélodie des litanies avec encore et toujours le même souci : lorsque quelqu'un entendra le chant il n’aura aucun doute que ce versu est spuncatacciu e anticu

 

 

Raphaël Quilici

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